Elle était bien là, allongée dans l'herbe, le rire d'Ashley se mêlait au sien. Dans ses yeux brillants, se reflétait la lumière du soleil, dont les rayons se frayaient un chemin à travers les nuages épais aux formes variées. Tentant d'arrêter le rire qui l'étranglait presque à présent, elle toussota et articula difficilement en pointant le ciel du doigt :

"Hé ! Regarde ! On dirait trop un balai celui-là !" Elle prit un air faussement scandalisé et ajouta : "Ils nous narguent !"

Elle se releva en ramassant le balai à proximité d'elle. Le terrain était humide et ses cheveux étaient détachés à présent et parsemés d'une multitude de brins d'herbes vert vif. Elle riait tellement qu'elle pleurait, elle essuya ses larmes d'un revers de la matin quand une moue de dégoût se forma sur son visage. Le contact de son gant était froid, mouillé et grumeleux. Elle l'inspectait en tirant sa langue boueuse dans une drôle d'expression en constatant qu'il en était couvert... De la boue ! Plein le visage, plein la bouche, beurk ! Dans un réflexe complétement idiot, elle se frotta le visage pour l'enlever ne réussissant qu'à en étaler un peu plus.

Avec l'air d'une petite sauvageonne, les joues chauffaient à blanc par la honte, elle enfouit son visage dans sa cape en pestant. Elle cracha un peu de salive au gravier, et releva la tête vers Ashley. Elle savait qu'elle devait avoir l'air complétement chiffonné, et en effet, quelques traces de boues avaient résisté. Mais elle n'avait pas peur, elle savait que la fillette n'allait pas la juger. Sur un ton parfaitement maitrisé, comme si la scène n'avait jamais existé, elle demanda :
"- Rolala ! Tu sais quelle heure il est ? J'vais être obliger de rentrer le doucher j'crois, sinon je s'rais jamais à l'heure pour le déjeuné !"
Elle eut un rire jaune et ajouta : "Tu veux manger avec moi ?" À peine ces mots sortis de sa bouche, elle la tordit et se mordilla l'intérieur de la lèvre. Non mais ça va pas de demander ça... Et puis d'où ça sort ? Ce n'était vraiment pas son genre... Elles se connaissaient à peine et puis peut-être qu'elle avait déjà prévu de déjeuner avec des amis !

Ashley n'avait pas ris comme ça depuis longtemps. La jeune Serdy avait oubliée comme ça faisait du bien. Elle était arrivée avec des idées noires et repartirait sûrement sur un petit nuage, avec Neruda, si celle-ci voulait bien.

— C'est vrai !

Rit elle, après avoir observé le ciel à son tour. Effectivement, il y avait un nuage qui ressemblait étonnement à un balai et il se déplaçait dans le ciel comme si il les narguait. Neruda se releva toujours en riant et, en voulant essuyer les larmes de joie qui coulaient le long de ses joues, elle s'étala de la boue. Ashley ne put retenir un petit rire face au visage tout barbouillé de sa camarade. Elle s'en étala encore plus en voulant l'essuyer. Elle finit par l'enlever tant bien que mal dans sa cape. La jeune Serdy lui sourit, ses abdos la lançant affreusement suite à cette crise de rire. Mais cette douleur faisait du bien. Elle se sentait enfin vivre. En cet instant, elle se sentait capable de conquérir le monde si Neruda l'accompagnait. Quand celle-ci lui proposa d'aller manger avec elle, Ashley sentit son bonheur grandir encore plus.

— Avec plaisir ! Je te garderais une place !

S'exclama Ashley, des étoiles dans les yeux. Rien n'aurait put gâcher son bonheur en cet instant. Rien du tout. Même pas ses parents, c'était pour dire. Elle ramassa à son tour son balai tout boueux lui aussi.

— On rentre au château ensemble, si tu veux !

— On rentre au château ensemble, si tu veux !

Les paroles d'Ashley apaisèrent ses doutes immédiatement et elle répondit en sautillant en direction de la sortie du terrain :

"- Oui carrément ! C'est le feu !"

L'espace d'un instant, alors qu'elles marchaient côte à côte, Neruda s'interrogea. Avec Ashley, elle n'avait pas besoin de réfléchir à ce qu'elle allait dire. D'habitude, elle avait peur de se tourner en ridicule comme elle savait si bien le faire. Elle préférait parfois se taire plutôt que de dire une bêtise, ou s'abstenir de tenter quelque chose, sous peine de provoquer une énième catastrophe. Et là, l'espace d'une seconde, elle avait eu peur de la réaction de sa camarade. Mais elle avait lancé son invitation avant de se soucier de ce que celle-ci pourrait en penser. Elle était de nature impulsive, mais rarement en ce qui concernait les relations sociales. Pourtant, avec elle, elle semblait agir à l'instinct.

Cette idée intriguait Neruda, elle avait côtoyé certains élèves depuis plus longtemps, pour autant, elle ne se sentait pas aussi à l'aise avec eux. Elle estimait pourtant qu'elle avait le contact facile et jusqu'à présent, elle n'avait connu que des moments agréables avec les autres. Cependant, elle ne savait pas comment se comporter avec eux, le stress la trahissait souvent, et elle se laissait facilement déborder par les émotions. Là, elle était apaisée, elle ne réfléchissait pas à sa démarche, ou à son expression. Elle se contentait de marcher naturellement en direction du château où elle s'empresserait de se doucher, à toute allure, pour rejoindre au plus vite la jeune Serdy dans la Grande Salle.